mercredi 23 novembre 2011

Une psychanalyse de la société algérienne: Anouar Benmalek, "Tu ne mourras plus demain", Fayard, 2011

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Lundi, 07 Novembre 2011

La vie quotidienne peut être dépourvue de romanesque. Elle peut aussi en déborder. Un auteur, psychanalyste de profession, traquait récemment les secrets de la vie de son père, qui les avait tus ou en avait couvert les traces, par un instinct naturel ou par choix, ou les deux . Ce faisant cet auteur avait probablement marqué une mutation de cultures dans le passage d'une génération à l'autre [...]

Anouar Benmalek semble avoir adopté un parti inverse.... C'est la figure de sa mère qui est au centre de son récit, celle de la mère morte, ou comme dans Rue Darwin de Boualem Sansal, le rassemblement autour de la Mère mourante. Peut-être s'agit-il là du signe de la prégnance de la figure maternelle en Algérie, de la Mama méditerranéenne, par opposition au père de la Loi, despote inflexible et archaïque. C'est la mère, dans « Tu ne mourras pas demain » qui est l'âme de l'opposition et de la résistance au despotisme arbitraire du Père.

Dans le récit d'Anouar Benmalek la mère est un carrefour d'influences, celles de l'européenne à travers la trapéziste suisse que fut la grand-mère de l'auteur ou encore à travers l'autre grand-mère, paternelle, qui fut esclave maurétanienne, ou encore la figure de la mère algéro-marocaine enfant persécutée par sa belle-mère arabe rivale de sa propre mère, sans compter l'ancêtre juive ou allemande exilée par son mari loin de ses enfants. Un joli cocktail de cultures mais qui consitue déjà la réalité de la société algérienne d'aujourd'hui ou demain, même quand elle la refuse ou y renâcle.

Ces figures essentielles de femmes sont aussi celles de l'amour. A travers elles  l'auteur convoque celles de la haine mesquine de l'autre, du refus du « différent » voisin et proche, du rejet méprisant de ce qui n'est pas conforme au diktat de la norme énoncée par la Tradition incarnée dans Loi inaltérable du Père.
Dans le tableau qu'Anouar Benmalek peint, les hommes sont les premières victimes d'une transmission dogmatique, rigide et conformiste de la Loi, d'un patriarcat despotique qui veut imposer sa règle à ses fils dans la destruction de leurs aspiration les plus intimes et de leurs instincts créateurs.
Dans le récit d'Anouar Benmalek l'histoire vraie et le destin veulent donc que le fils qui par ailleurs se trouve être le père de l'auteur et semble condamné à être éternellement un fils jamais vraiment un père, aille essayer ses goûts et talents d'homme de théâtre et se marie selon son coeur, loin de Constantine, au Maroc, ce Maroc vécu comme un frère ennemi et un traître.

La mère apparaît comme la victime sacrificielle d'une loi féroce et fondée uniquement dans la tradition, hors raison . La mère est néanmoins aussi la figure humanisatrice du récit d'Anouar Benmalek, celle de la Raison et de l'amour tout à la fois.. Elle est celle du partage de la tendresse entre les frères et sœurs . Elle est la pierre fondatrice de la famille et du groupe . Si la démocratie prend pied dans le groupe c'est à travers elle et par elle, par son pouvoir de partage et de don .

Pourtant, d'une façon ou d'une autre la figure de l'épouse ou de l'amante semble l'éternelle absente de cette configuration. Epouse ou amante du père ou fils elle apparaît oubliée, reléguée. Sans doute l'auteur a-t-il voulu soustraire au regard du lecteur une zone de sentiments qu'il a jugé lui être naturellement étrangers. La figure de la mère lui a semblé suffisamment symbolique et collective pour être évoquée sans trahir le secret de l'intimité familiale et personnelle qui l'entoure. Il n'empêche que les réalités de l'existence où il nous plonge sont intimement imbriquées dans l'expérience de l'amour entre être humains, hommes ou femmes. Il y a là un silence frustrant.

Libérer les sentiments amoureux du diktat d'une loi patriarcale, conformiste, extérieure et surtout, confondue avec l'exercice du pouvoir, semble être la conclusion implicite de ce beau livre tout en nuance, demie-teinte et pudeur où l'amour et la tendresse occupent une place essentielle. C'est à une sorte de psychanalyse de la société et de la famille algérienne, voire maghrébine que l'auteur, mathématicien de profession, semble s'être essayé, avec délicatesse et acuité de perception, sans chercher une généralisation abusive. L'histoire de sa famille lui a fournit une grande richesse d'événements, de situations et de personnages qu'il n'a jamais traités avec désinvolture, lourdeur aveugle ni indiscrétion. A aucun moment le lecteur n'a le sentiment d'avoir été manipulé ni entraîné à ses dépens à participer à des situations déplaisantes ni perverses.

Par contre il éprouve un sentiment de gratitude envers l'auteur pour lui avoir permis d’accéder à des aperçus sur les profondeurs intimes des sociétés du Maghreb et d'Algérie. La véritable tâche de la Littérature n'est-elle pas justement d'offrir à ses lecteurs cette richesse d'expérience humaine ?

Max VEGA-RITTER

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